Action 6 : Le prix de la construction et l’auto-construction

De Economie Solidaire Brest.

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'''Vendredi 11 avril 2015 à la Maison pour Tous/ Centre Social de Landerneau.
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'''Vendredi 11 avril 2015 à la Maison pour Tous/ Centre Social de Landerneau.
 
      
 
      
 
* Atelier de travail, 14h-17h  
 
* Atelier de travail, 14h-17h  
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===Yvan Le Goff, habitat groupé La Cie Rit, à Saint-Germain-sur-Ille (35)===
 
===Yvan Le Goff, habitat groupé La Cie Rit, à Saint-Germain-sur-Ille (35)===
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La Cie Rit est un habitat de 4 familles à Saint-Germain-sur-Ille, un centre-bourg à 25 km au nord de Rennes. Il comporte 450m² de logements, et 225m² d'espaces communs : une véranda, des terrasses, des balcons, une buanderie, un atelier, et une salle commune qui va démarrer. Et, en plus, un local vélo, et un jardin avec un potager. L'un des principes premiers au départ du projet était d'aller vite. En automne 2011, ils se sont donné 3 mois pour trouver un terrain. Ils l'ont fait dans ce temps imparti. Puis ils se sont donné deux ans pour emménager. Objectif atteint : l'emménagement a eu lieu entre février et mars, 2014, même s'il reste des travaux à effectuer. La construction se fait en autopromotion : « nous voulions être autonomes sur la conduite du projet, ça nous apparaissait comme une évidence. Nous étions dans une logique coopérative, pas de hiérarchie, pas de délégation, etc. ». Dans ce sens, le groupe choisit de ne pas se baser sur une charte, mais sur des réunions régulières, une par semaine en grand groupe avant le chantier, et une réunion de 10 minutes chaque jour pendant le chantier. La phase de conception du programme architectural se base sur des allers-retours avec l'architecte, ce qui oblige à formuler clairement des positions communes, notamment sur les répartitions entre les espaces privatifs et communs, et sur les questions écologiques.
 
La Cie Rit est un habitat de 4 familles à Saint-Germain-sur-Ille, un centre-bourg à 25 km au nord de Rennes. Il comporte 450m² de logements, et 225m² d'espaces communs : une véranda, des terrasses, des balcons, une buanderie, un atelier, et une salle commune qui va démarrer. Et, en plus, un local vélo, et un jardin avec un potager. L'un des principes premiers au départ du projet était d'aller vite. En automne 2011, ils se sont donné 3 mois pour trouver un terrain. Ils l'ont fait dans ce temps imparti. Puis ils se sont donné deux ans pour emménager. Objectif atteint : l'emménagement a eu lieu entre février et mars, 2014, même s'il reste des travaux à effectuer. La construction se fait en autopromotion : « nous voulions être autonomes sur la conduite du projet, ça nous apparaissait comme une évidence. Nous étions dans une logique coopérative, pas de hiérarchie, pas de délégation, etc. ». Dans ce sens, le groupe choisit de ne pas se baser sur une charte, mais sur des réunions régulières, une par semaine en grand groupe avant le chantier, et une réunion de 10 minutes chaque jour pendant le chantier. La phase de conception du programme architectural se base sur des allers-retours avec l'architecte, ce qui oblige à formuler clairement des positions communes, notamment sur les répartitions entre les espaces privatifs et communs, et sur les questions écologiques.
  
L'option du recours à l'autoconstruction s'est vite posée. Dans un premier temps, il semblait que cette option irait contre l'objectif d'aller vite : « ''moi, clairement, je ne voulais pas construire sur le bâtiment, parce que je voyais toutes ces familles qui se séparent, tous les copains qui sont dessus depuis 10 ans... Je me dis que j'ai un salaire correct, je préfère travailler et payer des artisans qui sont payés moins cher que moi et qui vont plus vite que moi pour faire la maison. J'étais là-dessus. Mais je me suis trompé. » Le positionnement change quand se pose la question du budget : le premier programme dépasse largement le budget prévu, de « 350 000€ au-dessus de nos 800 000€ de budget, à 1 050 000€ du budget opération ».... Le groupe choisit alors de maintenir le programme, et de chercher à faire des économies. Cela passe par des simplifications techniques (estimation de 50 à 100 000€ d'économies), par de l'autopromotion, et de l'autoconstruction. Le principe de la rapidité est maintenu : l'objectif est fixé à un an de chantier. « Ça voulait dire qu'il y ait une personne par foyer qui lâche son boulot pour bosser sur la maison. C'était jouable pour nous, on n'était que 4 foyers, moi j'en avais marre de mon boulot, je voulais construire un bateau, j'ai construit une maison, maintenant je vais construire un bateau. Pierre travaillait à la Fédération Nationale du Bâtiment, il voulait devenir charpentier, donc il voulait se former, donc il a quitté son boulot, il a fait 6 mois de formation et après il a attaqué la maison, Thomas voulait monter sa boîte en informatique, il a quitté son boulot, et Sabrina est enseignante et elle pouvait prendre une année de dispo, à plein temps d'abord puis à temps partiel. Donc il y a avait une personne par foyer, trois hommes et une femme. » Le groupe constitue ainsi une véritable force de travail, avec des temps plein en heures de travail classique en semaine (8h-18h), et chacun revient sur le chantier en week-end s'il le veut sur son propre appartement. Le programme est établi en avance, de façon à optimiser le temps de travail (prévision des fournitures, chronologie des postes techniques...) : le groupe s'organise comme une entreprise professionnelle. L'architecte dessine des plans en prévision de l'autoconstruction, et donne les indications nécessaires aux autoconstructeurs. Le travail de préparation du chantier a été un gros travail pour le groupe : budget prévisionnel poste par poste, répartitions financières entre les habitants, prévisionnel de chantier... Cela suppose autant de compétences de professionnels du bâtiment (analyse financière, maîtrise de la construction de bâtiments, gestion de projet, aspects juridiques, administratifs...), que le groupe possède de par leurs professions respectives, ou qu'ils vont chercher, et apprendre sur le tas. C'est lors de ce temps de préparation que se font les choix de ce qui sera autoconstruit au lieu d'être confié à des artisans : « là où c'était rentable, là où on allait ne pas y passer trop de temps, là où la prise de risque était acceptable, là où l'économie était substantielle. Les endroits où c'était à 1000€ on s'en fichait au début. Nous avons confié des postes aux entreprises pour des finitions, par exemple pour les bandes aux placo, on préférait gagner un mois de loyer plutôt que de chercher à économiser les 1000€ de travail. Nous avons pas mal discuté à savoir si on faisait le gros œuvre, c'est-à-dire la charpente, parce que c'est là où il y a une grosse économie à faire, mais la prise de risque elle est forte, surtout sur un bâtiment collectif. Tous les copains qui font des grosses économies sur de l'individuel, ils font du gros œuvre, et ils vont faire les finitions.  Mais nous on ne s'est pas sentis, sur un truc de quatre logements, ça nous semblait un peu lourd.'' »
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L'option du recours à l'autoconstruction s'est vite posée. Dans un premier temps, il semblait que cette option irait contre l'objectif d'aller vite : « ''moi, clairement, je ne voulais pas construire sur le bâtiment, parce que je voyais toutes ces familles qui se séparent, tous les copains qui sont dessus depuis 10 ans... Je me dis que j'ai un salaire correct, je préfère travailler et payer des artisans qui sont payés moins cher que moi et qui vont plus vite que moi pour faire la maison. J'étais là-dessus. Mais je me suis trompé. '' » Le positionnement change quand se pose la question du budget : le premier programme dépasse largement le budget prévu, de « 350 000€ au-dessus de nos 800 000€ de budget, à 1 050 000€ du budget opération ».... Le groupe choisit alors de maintenir le programme, et de chercher à faire des économies. Cela passe par des simplifications techniques (estimation de 50 à 100 000€ d'économies), par de l'autopromotion, et de l'autoconstruction. Le principe de la rapidité est maintenu : l'objectif est fixé à un an de chantier. « '' Ça voulait dire qu'il y ait une personne par foyer qui lâche son boulot pour bosser sur la maison. C'était jouable pour nous, on n'était que 4 foyers, moi j'en avais marre de mon boulot, je voulais construire un bateau, j'ai construit une maison, maintenant je vais construire un bateau. Pierre travaillait à la Fédération Nationale du Bâtiment, il voulait devenir charpentier, donc il voulait se former, donc il a quitté son boulot, il a fait 6 mois de formation et après il a attaqué la maison, Thomas voulait monter sa boîte en informatique, il a quitté son boulot, et Sabrina est enseignante et elle pouvait prendre une année de dispo, à plein temps d'abord puis à temps partiel. Donc il y a avait une personne par foyer, trois hommes et une femme. » Le groupe constitue ainsi une véritable force de travail, avec des temps plein en heures de travail classique en semaine (8h-18h), et chacun revient sur le chantier en week-end s'il le veut sur son propre appartement. Le programme est établi en avance, de façon à optimiser le temps de travail (prévision des fournitures, chronologie des postes techniques...) : le groupe s'organise comme une entreprise professionnelle. L'architecte dessine des plans en prévision de l'autoconstruction, et donne les indications nécessaires aux autoconstructeurs. Le travail de préparation du chantier a été un gros travail pour le groupe : budget prévisionnel poste par poste, répartitions financières entre les habitants, prévisionnel de chantier... Cela suppose autant de compétences de professionnels du bâtiment (analyse financière, maîtrise de la construction de bâtiments, gestion de projet, aspects juridiques, administratifs...), que le groupe possède de par leurs professions respectives, ou qu'ils vont chercher, et apprendre sur le tas. C'est lors de ce temps de préparation que se font les choix de ce qui sera autoconstruit au lieu d'être confié à des artisans : « là où c'était rentable, là où on allait ne pas y passer trop de temps, là où la prise de risque était acceptable, là où l'économie était substantielle. Les endroits où c'était à 1000€ on s'en fichait au début. Nous avons confié des postes aux entreprises pour des finitions, par exemple pour les bandes aux placo, on préférait gagner un mois de loyer plutôt que de chercher à économiser les 1000€ de travail. Nous avons pas mal discuté à savoir si on faisait le gros œuvre, c'est-à-dire la charpente, parce que c'est là où il y a une grosse économie à faire, mais la prise de risque elle est forte, surtout sur un bâtiment collectif. Tous les copains qui font des grosses économies sur de l'individuel, ils font du gros œuvre, et ils vont faire les finitions.  Mais nous on ne s'est pas sentis, sur un truc de quatre logements, ça nous semblait un peu lourd.'' »
  
« Ce qu'on a fait : réception et pose de la menuiserie fin juillet, avec un copain qui était pro et qui nous a donné un coup de main. L'isolation, le sol, les cloisons, la plomberie, l'électricité, de la maçonnerie, du bardage, du huilage, les finitions, etc. Nous avons organisé le chantier sur trois types de tâches, il y avait ce qui était commun, c'est-à-dire tout ce qui touchait à la charpente, à la toiture, aux espaces communs, là on ne posait pas la question, on travaillait tous dessus. Tout ce qui était collectif, c'est-à-dire qu'on travaillait tous ensemble mais on était chez les uns ou les autres, on faisait les cloisons, ça appartient à l'un ou à l'autre, mais on allait bosser ensemble. Et puis individuel, là où chacun se débrouille chez lui. Dans l'individuel il y a des gens qui ont fait eux-mêmes, je pense à la plomberie, l'électricité, d'autres qui ont fait appel à un artisan pour l'un ou pour l'autre. Ces chantiers moi je n'y connaissais rien, mais Pierre connaissait la plomberie, Thomas un peu l'électricité, il s'était formé, donc on a commencé chez l'un puis on a enquillé chez l'autre. Le temps de formation devenait valable sur quatre logements. On a eu plein de coups de main avec les boîtes, des gars sont restés pendant des heures pour nous livrer. J'ai entendu l'expérience d'un habitat groupé pendant les années 1980 où ils sentaient qu'ils étaient pris pour des rigolos par les entreprises et par les administrations, et nous je crois que les entreprises et les fournisseurs nous avaient à la bonne, parce qu'on était atypiques, on était sympa, et on savait ce qu'on voulait, c'était carré, et en même temps ils étaient curieux, ils revenaient en week-end en famille pour visiter. Et quand il fallait rester trois heures pour livrer des trucs, ils le faisaient. Moi j'avais fait un peu de maîtrise d’œuvre. Des fois quand on voyait tous les câbles d'électricité, ça nous faisait un peu peur... La charpente extérieure ça a été un gros morceau, parce qu'on l'a fait quasiment sans machine. On a loué quand même un machine pour la fin, à sept heures du matin, en plein hiver sous la pluie, on a commencé à jouer avec, à 16 mètres en l'air, et on l'a enlisé, on a mis deux heures à le désenliser avec le paysan à coté, mais on a réussi à construire ça, la charpente extérieure. Je pense qu'un charpentier professionnel monte ça en quelques heures à la grue, nous on a tout fait à la main, on a mis deux mois de chantier. On voulait fêter Noël dans les logements, en fait on est arrivé fin février. »
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« '' Ce qu'on a fait : réception et pose de la menuiserie fin juillet, avec un copain qui était pro et qui nous a donné un coup de main. L'isolation, le sol, les cloisons, la plomberie, l'électricité, de la maçonnerie, du bardage, du huilage, les finitions, etc. Nous avons organisé le chantier sur trois types de tâches, il y avait ce qui était commun, c'est-à-dire tout ce qui touchait à la charpente, à la toiture, aux espaces communs, là on ne posait pas la question, on travaillait tous dessus. Tout ce qui était collectif, c'est-à-dire qu'on travaillait tous ensemble mais on était chez les uns ou les autres, on faisait les cloisons, ça appartient à l'un ou à l'autre, mais on allait bosser ensemble. Et puis individuel, là où chacun se débrouille chez lui. Dans l'individuel il y a des gens qui ont fait eux-mêmes, je pense à la plomberie, l'électricité, d'autres qui ont fait appel à un artisan pour l'un ou pour l'autre. Ces chantiers moi je n'y connaissais rien, mais Pierre connaissait la plomberie, Thomas un peu l'électricité, il s'était formé, donc on a commencé chez l'un puis on a enquillé chez l'autre. Le temps de formation devenait valable sur quatre logements. On a eu plein de coups de main avec les boîtes, des gars sont restés pendant des heures pour nous livrer. J'ai entendu l'expérience d'un habitat groupé pendant les années 1980 où ils sentaient qu'ils étaient pris pour des rigolos par les entreprises et par les administrations, et nous je crois que les entreprises et les fournisseurs nous avaient à la bonne, parce qu'on était atypiques, on était sympa, et on savait ce qu'on voulait, c'était carré, et en même temps ils étaient curieux, ils revenaient en week-end en famille pour visiter. Et quand il fallait rester trois heures pour livrer des trucs, ils le faisaient. Moi j'avais fait un peu de maîtrise d’œuvre. Des fois quand on voyait tous les câbles d'électricité, ça nous faisait un peu peur... La charpente extérieure ça a été un gros morceau, parce qu'on l'a fait quasiment sans machine. On a loué quand même un machine pour la fin, à sept heures du matin, en plein hiver sous la pluie, on a commencé à jouer avec, à 16 mètres en l'air, et on l'a enlisé, on a mis deux heures à le désenliser avec le paysan à coté, mais on a réussi à construire ça, la charpente extérieure. Je pense qu'un charpentier professionnel monte ça en quelques heures à la grue, nous on a tout fait à la main, on a mis deux mois de chantier. On voulait fêter Noël dans les logements, en fait on est arrivé fin février. '' »
  
 
D'autres compétences sont mobilisées pendant le chantier : des compétences techniques bien sûr, mais aussi des compétences de négociations avec les entreprises. Ce point est très loin d'être négligeable, alors que beaucoup d'autoconstructeurs achètent au prix public. « ''Quand on voit dans des boîtes qui vendent de la ferraille, j'ai testé avec eux, les commerciaux n'aiment pas qu'on se mette à coté de l'écran de l'ordinateur. Mais quand on arrive à le faire, on voit que la ristourne passe de 0 à 75 % dans la discussion. Chez les fournisseurs professionnels, le prix public, à 100 %, ça n'existe pas ! Ça se joue à la négo. On dit que ce que définit le prix, c'est un rapport d'offre et de demande. Ce n'est pas vrai ! Le prix, c'est un rapport de domination, c'est un rapport de classe. Les pauvres paient toujours plus cher que les riches, et celui qui domine paie moins cher que celui qui est dominé. C'était très net : sur le même produit, on envoie Sabrina – parce que c'est aussi un rapport de domination masculine – on envoie Sabrina chercher un produit, quand elle revient il est au double de quand c'est moi qui y vais. Je l'avais testé avant avec un copain qui était artisan, il m'a dit de ne pas oublier de négocier le prix, alors je négocie le prix, je dis « je suis content j'ai eu 30 %'' », il me regarde et il me dit « ''d'habitude j'ai toujours 70 % !» Il faut savoir comment ça marche. Je me suis retrouvé à faire du théâtre, du sketch, je me suis retrouvé à me faire masser par un commercial qui voulait montrer des gestes et des machins, des fois c'est du théâtre, ça fait partie du jeu, même si c'est parfois soûlant, et épuisant. '' »
 
D'autres compétences sont mobilisées pendant le chantier : des compétences techniques bien sûr, mais aussi des compétences de négociations avec les entreprises. Ce point est très loin d'être négligeable, alors que beaucoup d'autoconstructeurs achètent au prix public. « ''Quand on voit dans des boîtes qui vendent de la ferraille, j'ai testé avec eux, les commerciaux n'aiment pas qu'on se mette à coté de l'écran de l'ordinateur. Mais quand on arrive à le faire, on voit que la ristourne passe de 0 à 75 % dans la discussion. Chez les fournisseurs professionnels, le prix public, à 100 %, ça n'existe pas ! Ça se joue à la négo. On dit que ce que définit le prix, c'est un rapport d'offre et de demande. Ce n'est pas vrai ! Le prix, c'est un rapport de domination, c'est un rapport de classe. Les pauvres paient toujours plus cher que les riches, et celui qui domine paie moins cher que celui qui est dominé. C'était très net : sur le même produit, on envoie Sabrina – parce que c'est aussi un rapport de domination masculine – on envoie Sabrina chercher un produit, quand elle revient il est au double de quand c'est moi qui y vais. Je l'avais testé avant avec un copain qui était artisan, il m'a dit de ne pas oublier de négocier le prix, alors je négocie le prix, je dis « je suis content j'ai eu 30 %'' », il me regarde et il me dit « ''d'habitude j'ai toujours 70 % !» Il faut savoir comment ça marche. Je me suis retrouvé à faire du théâtre, du sketch, je me suis retrouvé à me faire masser par un commercial qui voulait montrer des gestes et des machins, des fois c'est du théâtre, ça fait partie du jeu, même si c'est parfois soûlant, et épuisant. '' »
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Au final, le groupe a réussi à tenir dans ses prévisions budgétaires. Ils estiment à 200 000€ d'économies sur les logements, et 50 000€ sur les espaces communs. Cette économie vaut la comparaison avec un coût du travail à valoriser : « moi je considère qu'on a gagné 70 000€ chacun en un an de travail : je n'ai jamais gagné ça en salaire ! » On mesure l'importance de cette économie quand on sait qu'il s'applique sur un budget total de 800 000€.
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Au final, le groupe a réussi à tenir dans ses prévisions budgétaires. Ils estiment à 200 000€ d'économies sur les logements, et 50 000€ sur les espaces communs. Cette économie vaut la comparaison avec un coût du travail à valoriser : « '' moi je considère qu'on a gagné 70 000€ chacun en un an de travail : je n'ai jamais gagné ça en salaire !'' » On mesure l'importance de cette économie quand on sait qu'il s'applique sur un budget total de 800 000€.
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« '' Pour finir, je me suis rendu compte que quand on présentait cette expérience-là à des gens, ça avait un effet inverse de ce qu'on voulait, ça avait un effet démobilisateur. Alors que pour nous, ça a été facile. Pour moi ça a été facile du début à la fin. On n'a pas eu d'accident de parcours, on n'a pas eu à faire face à des choses trop compliquées. En fait c'est parce qu'on a appris petit à petit. C'est ce que Le Strat  appelle une montée collective en capacité, progressive. Le fait d'être en groupe, le fait d'avoir le temps, c'est monter comme ça doucement, et ça marche. Je crois que ce qui garantit la réussite, c'est de se donner des objectifs à notre portée. On n'a pas mis l'échelle trop haute, à chaque fois c'était accessible, avec nos compétences et nos moyens, avec les copains qu'on avait autour, et les coups de main, etc. Nous avions des compétences avant ce projet, mais nous avons beaucoup appris sur place. Moi je n'y connaissais rien à l'aspect juridique ou administratif, Thomas s'est formé à la compta, aux normes, … On a associé des compétences. Et nous on se dit que c'est juste un habitat, ce n'est pas tous nos fantasmes, tous nos rêves, toutes nos utopies, on ne peut pas tout mettre là-dedans. On a plein d'autres projets, nous sommes investis dans plein d'autres choses. Du coup ça a été simple. Il y a une vraie prise de risque, il y a des assurances qu'on n'a pas prises, des garanties qu'on n'a pas eues, mais on a essayé de le faire en se disant que si on a un problème, qu'est-ce qu'on est capable d'assumer et qu'est-ce qu'on n'est pas capable d'assumer. La charpente on ne le sentait pas, on a fait intervenir un charpentier, et il y a plein d'endroits, si ma plomberie pète, qu'il y a des fuites partout, je vais me démerder, avec le placo je serais emmerdé, mais je sais que je serais capable de l'assumer. On avait effectivement des compétences dans le groupe, et des ressources autour de nous aussi, pas mal de copains qui étaient dans le bâtiment, qui faisaient des échanges, ou du conseil, ou du matériel. Cette idée de maîtrise d'usage, c'est que l'on a personnalisé tout ce qu'on a fait. On a été maître d'ouvrage, maître d’œuvre, et maître d'usage. On a fait une vraie économie, ça c'est clair. On se sent tous plus autonomes et plus capables de faire des choses. Moi j'ai toujours été attaché à cette idée d'autogestion, mais je vois bien que aujourd'hui, que je recommence à travailler, à avoir d'autres projets professionnels, je les aborde différemment. Ce qui nous a réuni, peut-être pas tous dans le groupe, mais quand même, c'est la volonté et l'expérience politique, on l'avait dans le mouvement coopératif, le mouvement associatif, un peu militant, un peu anar, avec des choses organisées, des méthodos, et tout. Pour moi il y a une dimension politique aussi dans le fait de le faire. C'est aussi une forme de résistance. Il y a un certain nombre de choses aujourd'hui qui nous incite à ne pas le faire. Nous, notre expérience, c'est que l'autogestion ça se pratique, ça fait pas peur, ça ne fait pas mal, ça s'apprend. Ça s'apprend sur des objets assez simples, et quand on sait le faire sur des objets simples, on peut le faire sur des objets plus complets. C'est une façon d'agir sur le monde. Un truc que je dis de plus en plus, c'est que tout ce qu'on a fait, si on nous avait dit au début qu'on allait faire tout ça, on ferait comme tous les gens qu'on rencontre et qui viennent nous visiter, on aurait dit « c'est trop compliqué, ce n'est pas pour nous, c'est trop dur ». Mais on a appris au fur et à mesure. On a appris en avançant, étape par étape, et à chaque fois les marches étaient accessibles.'' »
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===Samuel Lanoë, de l'Epok, coopérative d'accompagnement de projets d'habitat participatif===
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« '' J'ai été amené à travailler avec toute l'équipe de la Cie Rit sur leur modèle économique, à essayer de simuler combien le même produit immobilier aurait coûté sur le marché, clé en main, avec un promoteur constructeur. Ça s'inscrivait dans une étude qu'on a menée pendant 3 ans, une recherche-action sur l'habitat participatif et l'accessibilité au logement, où il y a eu un gros axe qui a été de comment mobiliser les bailleurs sociaux et les aides au logement institutionnelles dans le cadre de projets en habitat participatif. En voyant toutes les difficultés qu'on a eu à mobiliser toutes les aides institutionnelles et à les adapter aux contraintes de l'habitat participatif, on s'est dit qu'il serait intéressant de se demander comment on ferait sans ces aides institutionnelles, pour quand même faire du logement plus accessible que ce qu'il y a sur le marché, et dans le cadre du logement participatif. On voit que la mutualisation par les espaces communs, ça ne réduit pas tant que ça les mètres carrés, les économies générées sont un peu négligeables. Ce qui est un vrai levier, c'est l'autopromotion et l'autoconstruction. '' »
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Le travail a ainsi consisté à retravailler le bilan financier de la Cie Rit pour pouvoir le comparer à des bilans de promoteurs, dans des conditions reproductibles : réaffectation des postes selon les postes conventionnels, conversions en hors-taxes, ajustement de certains chiffrages dues à des cause non reproductibles (par exemple un malentendu sur l'honoraire de l'architecte), prise en compte du fait que les professionnels n'ont pas les mêmes tarifs de fournitures, ni les mêmes obligations (par exemple les assurances dommage-ouvrage, les coordination Sécurité Prévention Santé, et puis les marges, les frais de commercialisation...), ni les mêmes taxes, les même coûts du travail, les mêmes conditions d'emprunts bancaires, que des autoconstructeurs non professionnels.
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« '' L'apport main d’œuvre, c'est-à-dire l'autoconstruction, c'est un peu délicat à évaluer. Nous avons essayé de trois manières. Une première manière à été de prendre le coût des matériaux et d'appliquer par une règle de trois les indices BT. Il y a des indices dans le bâtiment qui disent, par lot de construction, la plomberie, la charpente, etc., la part main d’œuvre correspond à tant de pour-cent du montant des travaux. C'est des estimations statistiques, mais elles sont apparemment assez fiables. Là, sur les différents lots qui ont été pris en charge par la Cie Rit, on était grosso modo autour de 40 % de matériaux et 60 % de main d’œuvre. En faisant une règle de trois avec le montant des travaux, on estime la part main d’œuvre à 249 000,45€ hors taxes – auquel il faudrait ajouter la marge. Deuxième méthode, c'était de comparer ce qu'avait prévu l'architecte sur son APD, donc le plus abouti, et voir l'écart qu'il y avait avec le réalisé. On arrive à 256 334€. Et une troisième méthode, c'était une évaluation de voir quatre équivalent temps plein sur une année, et que dans le bâtiment on a un ouvrier du bâtiment qui pèse 90 000€, avec 40 % de matériaux là-dedans, et puis le reste en travaux, et qu'en faisant une estimation on arrivait à 254 000€. Les trois méthodes se recoupent. Donc, empiriquement, on a dit 250 000€ d'économie par l'apport main d’œuvre. Ce qui fait que quand on passe du scénario de la Cie Rit en autoconstruction à l'équivalent constructeur, on passe de 472 000€ à 694 000€. Sur le coût total du projet, on passe de 821 000€ à 1 249 000€ en TTC. Et si on ramène ça au prix au mètre carré par logement, on passe de 1 826€, ça c'est le prix réalisé et ajusté de la Cie Rit, à 2 778€, ce qui est un peu plus cher que le marché local sur du BBC, mais je pense qu'au niveau matériaux vous avez pris des choses qui sont au-delà des standards. '' »
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De ces données, l'Epok peut comparer trois budgets à partir du bilan de la Cie Rit : un budget en autoconstruction, un second avec une construction par des entreprises, un troisième avec une opération clé en main par un promoteur. Samuel met en évidence l'effet boule de neige du coût de la construction, puisque tous les augmentations suivantes se font par pourcentages, qui se répercutent en bout de course par des frais exponentiels d'emprunts bancaires. « ''Le produit qu'ils ont construit à 180 000€ leur aurait coûté 297 000€ sans autopromotion ni autoconstruction. Ils n'auraient pas pu se le permettre.'' »
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Encore faut-il avoir les compétences nécessaires pour assurer cette autopromotion et cette autoconstruction. « ''Évidemment, quand on parle à un groupe de seniors, cette solution ne leur apparaît pas trop pour eux : il faut être jeune et en bonne santé ! On trouve des produits en PSLA sur le marché local qui sont de cet ordre-là, de 1 800 à 2000€ du mètre carré. C'est du logement aidé, avec de la TVA à 5,5 %, et une exonération de taxe foncière pendant 15 ans. Il y a ça qui est à prendre en compte et à mettre dans la balance.'' »
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Enfin, Samuel Lanoë relativise les économies perçues en rappelant qu'il faut comptabiliser les coûts du double loyer et des déplacements pendant le temps du chantier, ainsi que le manque à gagner en terme de salaires ou de droits perçus. À la controverse de l'utilisation des droits au chômage pour prendre du temps à construire un logement, l'Epok suggère à la Fondation de France de mettre en place des revenus de subsistance pour des ménages modestes le temps de cette construction, pour éviter d'avoir à enrichir des banques par des emprunts supplémentaires.
  
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* [http://www.lepok.org/images/Docs/Habitat-Participatif-et-solidaire-HPO%20_FDF_CG35-RAPPORT.pdf Cliquez ici pour télécharger le rapport intégral].
  
« ''Pour finir, je me suis rendu compte que quand on présentait cette expérience-là à des gens, ça avait un effet inverse de ce qu'on voulait, ça avait un effet démobilisateur. Alors que pour nous, ça a été facile. Pour moi ça a été facile du début à la fin. On n'a pas eu d'accident de parcours, on n'a pas eu à faire face à des choses trop compliquées. En fait c'est parce qu'on a appris petit à petit. C'est ce que Le Strat  appelle une montée collective en capacité, progressive. Le fait d'être en groupe, le fait d'avoir le temps, c'est monter comme ça doucement, et ça marche. Je crois que ce qui garantit la réussite, c'est de se donner des objectifs à notre portée. On n'a pas mis l'échelle trop haute, à chaque fois c'était accessible, avec nos compétences et nos moyens, avec les copains qu'on avait autour, et les coups de main, etc. Nous avions des compétences avant ce projet, mais nous avons beaucoup appris sur place. Moi je n'y connaissais rien à l'aspect juridique ou administratif, Thomas s'est formé à la compta, aux normes, … On a associé des compétences. Et nous on se dit que c'est juste un habitat, ce n'est pas tous nos fantasmes, tous nos rêves, toutes nos utopies, on ne peut pas tout mettre là-dedans. On a plein d'autres projets, nous sommes investis dans plein d'autres choses. Du coup ça a été simple. Il y a une vraie prise de risque, il y a des assurances qu'on n'a pas prises, des garanties qu'on n'a pas eues, mais on a essayé de le faire en se disant que si on a un problème, qu'est-ce qu'on est capable d'assumer et qu'est-ce qu'on n'est pas capable d'assumer. La charpente on ne le sentait pas, on a fait intervenir un charpentier, et il y a plein d'endroits, si ma plomberie pète, qu'il y a des fuites partout, je vais me démerder, avec le placo je serais emmerdé, mais je sais que je serais capable de l'assumer. On avait effectivement des compétences dans le groupe, et des ressources autour de nous aussi, pas mal de copains qui étaient dans le bâtiment, qui faisaient des échanges, ou du conseil, ou du matériel. Cette idée de maîtrise d'usage, c'est que l'on a personnalisé tout ce qu'on a fait. On a été maître d'ouvrage, maître d’œuvre, et maître d'usage. On a fait une vraie économie, ça c'est clair. On se sent tous plus autonomes et plus capables de faire des choses. Moi j'ai toujours été attaché à cette idée d'autogestion, mais je vois bien que aujourd'hui, que je recommence à travailler, à avoir d'autres projets professionnels, je les aborde différemment. Ce qui nous a réuni, peut-être pas tous dans le groupe, mais quand même, c'est la volonté et l'expérience politique, on l'avait dans le mouvement coopératif, le mouvement associatif, un peu militant, un peu anar, avec des choses organisées, des méthodos, et tout. Pour moi il y a une dimension politique aussi dans le fait de le faire. C'est aussi une forme de résistance. Il y a un certain nombre de choses aujourd'hui qui nous incite à ne pas le faire. Nous, notre expérience, c'est que l'autogestion ça se pratique, ça fait pas peur, ça ne fait pas mal, ça s'apprend. Ça s'apprend sur des objets assez simples, et quand on sait le faire sur des objets simples, on peut le faire sur des objets plus complets. C'est une façon d'agir sur le monde. Un truc que je dis de plus en plus, c'est que tout ce qu'on a fait, si on nous avait dit au début qu'on allait faire tout ça, on ferait comme tous les gens qu'on rencontre et qui viennent nous visiter, on aurait dit « c'est trop compliqué, ce n'est pas pour nous, c'est trop dur ». Mais on a appris au fur et à mesure. On a appris en avançant, étape par étape, et à chaque fois les marches étaient accessibles.'' »
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* [http://www.lepok.org/images/Docs/Habitat-Participatif-et-solidaire-HPO%20_FDF_CG35-%20ANNEXES.pdf Cliquez ici pour télécharger les annexes.]

Version du 7 septembre 2015 à 10:02