Action 6 : Le prix de la construction et l’auto-construction

De Economie Solidaire Brest.

(Page créée avec « '''Vendredi 11 avril 2015 à la Maison pour Tous/ Centre Social de Landerneau. * Atelier de travail, 14h-17h * Table-ronde , 18h-20h ''' mené par l'Association d... »)
 
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Mais cette économie a un coût, qu'il s'agit d'inclure dans la colonne du passif. Elle demande de l'engagement, de l'investissement en temps et en énergie : au-delà même des temps de repos et de vacances, certains mettent en pause leur carrière professionnelle. Elle est génératrice de fatigue, de stress, de tensions. Elle complique voire empêche l'accès à certains emprunts bancaires, à des assurances, des garanties, des labellisations, des subventions. Enfin, faute de compétences et de professionnalisme parmi les volontaires, la qualité des résultats techniques peuvent s'en ressentir. Et puis les bénévoles n'ont pas forcément l'efficacité des professionnels, ni même leurs remises aux achats de matériaux. Faut-il dès lors penser, comme l'affirment plusieurs observateurs, qu'il n'est pas évident que l'autoconstruction soit réellement rentable, au moins au point de vue strictement économique ? Quelle est la balance financière de l'autoconstruction dans l'habitat participatif ?
 
Mais cette économie a un coût, qu'il s'agit d'inclure dans la colonne du passif. Elle demande de l'engagement, de l'investissement en temps et en énergie : au-delà même des temps de repos et de vacances, certains mettent en pause leur carrière professionnelle. Elle est génératrice de fatigue, de stress, de tensions. Elle complique voire empêche l'accès à certains emprunts bancaires, à des assurances, des garanties, des labellisations, des subventions. Enfin, faute de compétences et de professionnalisme parmi les volontaires, la qualité des résultats techniques peuvent s'en ressentir. Et puis les bénévoles n'ont pas forcément l'efficacité des professionnels, ni même leurs remises aux achats de matériaux. Faut-il dès lors penser, comme l'affirment plusieurs observateurs, qu'il n'est pas évident que l'autoconstruction soit réellement rentable, au moins au point de vue strictement économique ? Quelle est la balance financière de l'autoconstruction dans l'habitat participatif ?
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===Présentation bibliographique par Pierre Servain, du Labers===
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La plupart des habitats participatifs ont recours à de l'autoconstruction. Cela concerne parfois l'ensemble de la construction, ou plus souvent le second œuvre (murs et sols intérieurs). Pourquoi une telle importance de recours à l'autoconstruction dans l'habitat participatif ? Est-ce par nécessité économique ? Serait-ce à dire que l'habitant participatif moyen serait particulièrement peu argenté ? Ou bien s'agit-il d'un autre type de motivation, davantage lié au sens de la démarche ?
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En effet, construire ensemble son habitat, c'est déjà le réaliser dans le mode participatif, du faire soi-même, du faire ensemble – et bien souvent de l'écologie. Ce qui fait raisonner le mot du philosophe Heidegger, qui écrivait « bâtir, [...] n'est pas seulement un moyen de l'habitation, une voie qui y conduit, bâtir est déjà, de lui-même, habiter  ». En l’occurrence, construire ensemble l'habitat, c'est aussi construire le groupe d'habitants, c'est construire le collectif. Cette seconde hypothèse se combinerait avantageusement avec l'idée de plusieurs observateurs quand ils affirment que l'autoconstruction n'est pas réellement rentable financièrement parlant, surtout s'il ne s'agit que du second œuvre. Ils ont plusieurs arguments à leur actif.
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Mais, au lieu de trancher entre la motivation économique et celle du sens de la démarche, notre propos est plutôt de dire qu'il serait absurde de nier l'un des deux mouvements.
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* L'argument économique est certain, quand on voit le nombre de groupes qui comptent sur l'autoconstruction pour boucler leur budget, et qui n'auraient pas la trésorerie suffisante pour construire sans ce levier.
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* L'argument du sens est aussi certain, quand on voit que des groupes préfèrent autoconstruire plutôt que de renoncer à la qualité de leur habitat.
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Au carrefour de ces deux motivations, notons que l'autoconstruction la plus courante concerne celle des espaces communs de rencontres (la salle commune, l'atelier...), c'est-à-dire, le plus souvent, à la fois l'espace le plus fragile sur le plan de financement, et à la fois le plus porteur du sens collectif de l'habitat.
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En tous cas, si l'autoconstruction n'est pas spécifique à l'habitat participatif, l'autoconstruction pour l'habitat participatif a une spécificité importante : elle prend forme dans un projet collectif. Cela amène à collectiviser les coûts et les économies de la démarche. Cette idée est à prendre en compte si l'on dresse un bilan financier des coûts et économies de l'autoconstruction en habitat participatif. Il convient de distinguer les éléments chiffrables financièrement de ceux qui ne le sont pas (écrits en italique), mais sans évacuer ces derniers pour autant.
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! ACTIF - Economies !! PASSIF - Coûts
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* '''Économies financières'''
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La main d’œuvre est estimée généralement autour de 20 % des coûts de construction (Adil) – de façon très différente selon les postes et les contextes.
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* '''Économies de trésorerie'''
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Avancer moins d'argent, c'est emprunter moins d'argent à la banque, et donc alléger les prêts.
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* '''Mutualisation de moyens'''
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: * L'investissement dans des outils et des matériaux connaissent des effets de seuil : à plusieurs, on peut acheter (ou louer) du bon matériel, plus rentable à l'usage.
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: * Cela permet des achats en gros
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: * Enfin, les compétences sont aussi des services qui sont à rémunérer si on ne les possède pas soi-même : réunir plus de gens augmente la chance de regrouper des compétences, et permet des formes de spécialisation. Cela peut se traduire par des formations extérieures, qui se rentabilisent d'autant plus vite.
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'' * '''Gain en compétence technique'''
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Le temps de formation technique se valorise pendant le temps de chantier, et est utile pour le meilleur entretien du bâtiment (économies à venir)''
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'' * '''Sens de la démarche d'habitat participatif'''
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: * Construire du collectif, formation du groupe par l'expérience concrète d'une construction commune.
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: *  Meilleure appropriation personnelle de l'habitat
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: * Permet de la fierté, de l'estime de soi
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: * Rend plus évident l'appel aux chantiers participatifs
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: * Permet de financer des espaces communs, de la meilleure qualité d'habitat, un habitat plus écologique''
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''Ce qui est en italique représente des données qui ne sont pas chiffrables.''
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* '''Temps de travail (« apport en travail »)'''
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: * Coût du travail à valoriser – éventuellement à mettre en rapport avec les salaires non perçus ou les droits consommés
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: * Coûts des doubles loyers pendant les travaux si le travail est plus long que celui de professionnels
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: * Coûts éventuel des reprises des erreurs de construction, surcoût de l'entretien si le travail a été mal fait
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: * Manque à gagner de l'efficacité, des « trucs » techniques et des outils des professionnels pour aller au plus vite et au moins cher
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: * Manque à gagner des remises des professionnels pour les matériaux
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* ''' Ce que ça complique, voire empêche
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Certaines garanties, assurances (notamment dommage-ouvrage), et autres labellisations, qui conditionnent des aides et dispositifs publics, et des emprunts bancaires
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'' * '''Fatigue, stress du chantier''' – surtout si le chantier prend du temps
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: *peut provoquer des accidents
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: * peut atteindre la santé
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: * répercussions dans les autres dimensions de la vie (moins de disponibilité pour le travail, la famille, les amis, les autres engagements...)
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: * peut détériorer les relations entre co-constructeurs (création de désaccords, de rancœur, impression que les autres bâclent le travail chez soi, impression de travailler plus chez les autres qu'on ne travaille chez soi, travailler avec les autres en situation de fatigue et de stress...)
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: * augmentation du risque des évolutions humaines du groupe (départs, divorces, décès...)''
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''Ce qui est en italique représente des données qui ne sont pas chiffrables.''
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===Yvan Le Goff, habitat groupé La Cie Rit, à Saint-Germain-sur-Ille (35)===
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==Pour visualiser son support de présentation : [https://drive.google.com/open?id=0B-bLlUUE2Hl7TjBHd0xEWGVGcm8 cliquez ici]==
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La Cie Rit est un habitat de 4 familles à Saint-Germain-sur-Ille, un centre-bourg à 25 km au nord de Rennes. Il comporte 450m² de logements, et 225m² d'espaces communs : une véranda, des terrasses, des balcons, une buanderie, un atelier, et une salle commune qui va démarrer. Et, en plus, un local vélo, et un jardin avec un potager. L'un des principes premiers au départ du projet était d'aller vite. En automne 2011, ils se sont donné 3 mois pour trouver un terrain. Ils l'ont fait dans ce temps imparti. Puis ils se sont donné deux ans pour emménager. Objectif atteint : l'emménagement a eu lieu entre février et mars, 2014, même s'il reste des travaux à effectuer. La construction se fait en autopromotion : « nous voulions être autonomes sur la conduite du projet, ça nous apparaissait comme une évidence. Nous étions dans une logique coopérative, pas de hiérarchie, pas de délégation, etc. ». Dans ce sens, le groupe choisit de ne pas se baser sur une charte, mais sur des réunions régulières, une par semaine en grand groupe avant le chantier, et une réunion de 10 minutes chaque jour pendant le chantier. La phase de conception du programme architectural se base sur des allers-retours avec l'architecte, ce qui oblige à formuler clairement des positions communes, notamment sur les répartitions entre les espaces privatifs et communs, et sur les questions écologiques.
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L'option du recours à l'autoconstruction s'est vite posée. Dans un premier temps, il semblait que cette option irait contre l'objectif d'aller vite : « ''moi, clairement, je ne voulais pas construire sur le bâtiment, parce que je voyais toutes ces familles qui se séparent, tous les copains qui sont dessus depuis 10 ans... Je me dis que j'ai un salaire correct, je préfère travailler et payer des artisans qui sont payés moins cher que moi et qui vont plus vite que moi pour faire la maison. J'étais là-dessus. Mais je me suis trompé. » Le positionnement change quand se pose la question du budget : le premier programme dépasse largement le budget prévu, de « 350 000€ au-dessus de nos 800 000€ de budget, à 1 050 000€ du budget opération ».... Le groupe choisit alors de maintenir le programme, et de chercher à faire des économies. Cela passe par des simplifications techniques (estimation de 50 à 100 000€ d'économies), par de l'autopromotion, et de l'autoconstruction. Le principe de la rapidité est maintenu : l'objectif est fixé à un an de chantier. « Ça voulait dire qu'il y ait une personne par foyer qui lâche son boulot pour bosser sur la maison. C'était jouable pour nous, on n'était que 4 foyers, moi j'en avais marre de mon boulot, je voulais construire un bateau, j'ai construit une maison, maintenant je vais construire un bateau. Pierre travaillait à la Fédération Nationale du Bâtiment, il voulait devenir charpentier, donc il voulait se former, donc il a quitté son boulot, il a fait 6 mois de formation et après il a attaqué la maison, Thomas voulait monter sa boîte en informatique, il a quitté son boulot, et Sabrina est enseignante et elle pouvait prendre une année de dispo, à plein temps d'abord puis à temps partiel. Donc il y a avait une personne par foyer, trois hommes et une femme. » Le groupe constitue ainsi une véritable force de travail, avec des temps plein en heures de travail classique en semaine (8h-18h), et chacun revient sur le chantier en week-end s'il le veut sur son propre appartement. Le programme est établi en avance, de façon à optimiser le temps de travail (prévision des fournitures, chronologie des postes techniques...) : le groupe s'organise comme une entreprise professionnelle. L'architecte dessine des plans en prévision de l'autoconstruction, et donne les indications nécessaires aux autoconstructeurs. Le travail de préparation du chantier a été un gros travail pour le groupe : budget prévisionnel poste par poste, répartitions financières entre les habitants, prévisionnel de chantier... Cela suppose autant de compétences de professionnels du bâtiment (analyse financière, maîtrise de la construction de bâtiments, gestion de projet, aspects juridiques, administratifs...), que le groupe possède de par leurs professions respectives, ou qu'ils vont chercher, et apprendre sur le tas. C'est lors de ce temps de préparation que se font les choix de ce qui sera autoconstruit au lieu d'être confié à des artisans : « là où c'était rentable, là où on allait ne pas y passer trop de temps, là où la prise de risque était acceptable, là où l'économie était substantielle. Les endroits où c'était à 1000€ on s'en fichait au début. Nous avons confié des postes aux entreprises pour des finitions, par exemple pour les bandes aux placo, on préférait gagner un mois de loyer plutôt que de chercher à économiser les 1000€ de travail. Nous avons pas mal discuté à savoir si on faisait le gros œuvre, c'est-à-dire la charpente, parce que c'est là où il y a une grosse économie à faire, mais la prise de risque elle est forte, surtout sur un bâtiment collectif. Tous les copains qui font des grosses économies sur de l'individuel, ils font du gros œuvre, et ils vont faire les finitions.  Mais nous on ne s'est pas sentis, sur un truc de quatre logements, ça nous semblait un peu lourd.'' »
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« Ce qu'on a fait : réception et pose de la menuiserie fin juillet, avec un copain qui était pro et qui nous a donné un coup de main. L'isolation, le sol, les cloisons, la plomberie, l'électricité, de la maçonnerie, du bardage, du huilage, les finitions, etc. Nous avons organisé le chantier sur trois types de tâches, il y avait ce qui était commun, c'est-à-dire tout ce qui touchait à la charpente, à la toiture, aux espaces communs, là on ne posait pas la question, on travaillait tous dessus. Tout ce qui était collectif, c'est-à-dire qu'on travaillait tous ensemble mais on était chez les uns ou les autres, on faisait les cloisons, ça appartient à l'un ou à l'autre, mais on allait bosser ensemble. Et puis individuel, là où chacun se débrouille chez lui. Dans l'individuel il y a des gens qui ont fait eux-mêmes, je pense à la plomberie, l'électricité, d'autres qui ont fait appel à un artisan pour l'un ou pour l'autre. Ces chantiers moi je n'y connaissais rien, mais Pierre connaissait la plomberie, Thomas un peu l'électricité, il s'était formé, donc on a commencé chez l'un puis on a enquillé chez l'autre. Le temps de formation devenait valable sur quatre logements. On a eu plein de coups de main avec les boîtes, des gars sont restés pendant des heures pour nous livrer. J'ai entendu l'expérience d'un habitat groupé pendant les années 1980 où ils sentaient qu'ils étaient pris pour des rigolos par les entreprises et par les administrations, et nous je crois que les entreprises et les fournisseurs nous avaient à la bonne, parce qu'on était atypiques, on était sympa, et on savait ce qu'on voulait, c'était carré, et en même temps ils étaient curieux, ils revenaient en week-end en famille pour visiter. Et quand il fallait rester trois heures pour livrer des trucs, ils le faisaient. Moi j'avais fait un peu de maîtrise d’œuvre. Des fois quand on voyait tous les câbles d'électricité, ça nous faisait un peu peur... La charpente extérieure ça a été un gros morceau, parce qu'on l'a fait quasiment sans machine. On a loué quand même un machine pour la fin, à sept heures du matin, en plein hiver sous la pluie, on a commencé à jouer avec, à 16 mètres en l'air, et on l'a enlisé, on a mis deux heures à le désenliser avec le paysan à coté, mais on a réussi à construire ça, la charpente extérieure. Je pense qu'un charpentier professionnel monte ça en quelques heures à la grue, nous on a tout fait à la main, on a mis deux mois de chantier. On voulait fêter Noël dans les logements, en fait on est arrivé fin février. »
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D'autres compétences sont mobilisées pendant le chantier : des compétences techniques bien sûr, mais aussi des compétences de négociations avec les entreprises. Ce point est très loin d'être négligeable, alors que beaucoup d'autoconstructeurs achètent au prix public. « ''Quand on voit dans des boîtes qui vendent de la ferraille, j'ai testé avec eux, les commerciaux n'aiment pas qu'on se mette à coté de l'écran de l'ordinateur. Mais quand on arrive à le faire, on voit que la ristourne passe de 0 à 75 % dans la discussion. Chez les fournisseurs professionnels, le prix public, à 100 %, ça n'existe pas ! Ça se joue à la négo. On dit que ce que définit le prix, c'est un rapport d'offre et de demande. Ce n'est pas vrai ! Le prix, c'est un rapport de domination, c'est un rapport de classe. Les pauvres paient toujours plus cher que les riches, et celui qui domine paie moins cher que celui qui est dominé. C'était très net : sur le même produit, on envoie Sabrina – parce que c'est aussi un rapport de domination masculine – on envoie Sabrina chercher un produit, quand elle revient il est au double de quand c'est moi qui y vais. Je l'avais testé avant avec un copain qui était artisan, il m'a dit de ne pas oublier de négocier le prix, alors je négocie le prix, je dis « je suis content j'ai eu 30 %'' », il me regarde et il me dit « ''d'habitude j'ai toujours 70 % !» Il faut savoir comment ça marche. Je me suis retrouvé à faire du théâtre, du sketch, je me suis retrouvé à me faire masser par un commercial qui voulait montrer des gestes et des machins, des fois c'est du théâtre, ça fait partie du jeu, même si c'est parfois soûlant, et épuisant. '' »
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Le fait de construire à plusieurs constitue des effets de seuils : « ''nous avons pu acheter du matériel professionnel, nous devons avoir plus de 7 000€ de matériel, nous n'avons pas une visseuse de moins de 400€. On ne l'aurait jamais fait si nous avions été en individuel. Nous avons du matériel qui vaut cher mais qui a été largement amorti, et divisé par quatre, parce qu'on est quatre foyers, ça fait que nous avons 75 % de réduction sur tout le matériel.'' »
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Au final, le groupe a réussi à tenir dans ses prévisions budgétaires. Ils estiment à 200 000€ d'économies sur les logements, et 50 000€ sur les espaces communs. Cette économie vaut la comparaison avec un coût du travail à valoriser : « moi je considère qu'on a gagné 70 000€ chacun en un an de travail : je n'ai jamais gagné ça en salaire ! » On mesure l'importance de cette économie quand on sait qu'il s'applique sur un budget total de 800 000€.
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« ''Pour finir, je me suis rendu compte que quand on présentait cette expérience-là à des gens, ça avait un effet inverse de ce qu'on voulait, ça avait un effet démobilisateur. Alors que pour nous, ça a été facile. Pour moi ça a été facile du début à la fin. On n'a pas eu d'accident de parcours, on n'a pas eu à faire face à des choses trop compliquées. En fait c'est parce qu'on a appris petit à petit. C'est ce que Le Strat  appelle une montée collective en capacité, progressive. Le fait d'être en groupe, le fait d'avoir le temps, c'est monter comme ça doucement, et ça marche. Je crois que ce qui garantit la réussite, c'est de se donner des objectifs à notre portée. On n'a pas mis l'échelle trop haute, à chaque fois c'était accessible, avec nos compétences et nos moyens, avec les copains qu'on avait autour, et les coups de main, etc. Nous avions des compétences avant ce projet, mais nous avons beaucoup appris sur place. Moi je n'y connaissais rien à l'aspect juridique ou administratif, Thomas s'est formé à la compta, aux normes, … On a associé des compétences. Et nous on se dit que c'est juste un habitat, ce n'est pas tous nos fantasmes, tous nos rêves, toutes nos utopies, on ne peut pas tout mettre là-dedans. On a plein d'autres projets, nous sommes investis dans plein d'autres choses. Du coup ça a été simple. Il y a une vraie prise de risque, il y a des assurances qu'on n'a pas prises, des garanties qu'on n'a pas eues, mais on a essayé de le faire en se disant que si on a un problème, qu'est-ce qu'on est capable d'assumer et qu'est-ce qu'on n'est pas capable d'assumer. La charpente on ne le sentait pas, on a fait intervenir un charpentier, et il y a plein d'endroits, si ma plomberie pète, qu'il y a des fuites partout, je vais me démerder, avec le placo je serais emmerdé, mais je sais que je serais capable de l'assumer. On avait effectivement des compétences dans le groupe, et des ressources autour de nous aussi, pas mal de copains qui étaient dans le bâtiment, qui faisaient des échanges, ou du conseil, ou du matériel. Cette idée de maîtrise d'usage, c'est que l'on a personnalisé tout ce qu'on a fait. On a été maître d'ouvrage, maître d’œuvre, et maître d'usage. On a fait une vraie économie, ça c'est clair. On se sent tous plus autonomes et plus capables de faire des choses. Moi j'ai toujours été attaché à cette idée d'autogestion, mais je vois bien que aujourd'hui, que je recommence à travailler, à avoir d'autres projets professionnels, je les aborde différemment. Ce qui nous a réuni, peut-être pas tous dans le groupe, mais quand même, c'est la volonté et l'expérience politique, on l'avait dans le mouvement coopératif, le mouvement associatif, un peu militant, un peu anar, avec des choses organisées, des méthodos, et tout. Pour moi il y a une dimension politique aussi dans le fait de le faire. C'est aussi une forme de résistance. Il y a un certain nombre de choses aujourd'hui qui nous incite à ne pas le faire. Nous, notre expérience, c'est que l'autogestion ça se pratique, ça fait pas peur, ça ne fait pas mal, ça s'apprend. Ça s'apprend sur des objets assez simples, et quand on sait le faire sur des objets simples, on peut le faire sur des objets plus complets. C'est une façon d'agir sur le monde. Un truc que je dis de plus en plus, c'est que tout ce qu'on a fait, si on nous avait dit au début qu'on allait faire tout ça, on ferait comme tous les gens qu'on rencontre et qui viennent nous visiter, on aurait dit « c'est trop compliqué, ce n'est pas pour nous, c'est trop dur ». Mais on a appris au fur et à mesure. On a appris en avançant, étape par étape, et à chaque fois les marches étaient accessibles.'' »

Version du 7 septembre 2015 à 10:32