Action 5 : Les espaces communs, financement et gestion partagée – Atelier de co-production de savoir à Vannes

De Economie Solidaire Brest.

(Version complète de l'atelier)
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===Version complète de l'atelier===  
 
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''en cours d'écriture''
 
  
 
'''Vendredi 27 Février 2015, Vannes - Maison des familles, 47 rue Ferdinand Ledressay.  
 
'''Vendredi 27 Février 2015, Vannes - Maison des familles, 47 rue Ferdinand Ledressay.  
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'''Intervenants:'''
 
'''Intervenants:'''
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*BROUTIN Michel : Association Éco-Habitat Groupé, et habitat Le Sarment des Bénards (Châtenay Malabry)
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* MALGRAS Olaf : Président de la Coop de construction, promoteur coopératif en Ille et Vilaine
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* CENCETTI Olivier, de la structure d'accompagnement L'Écho-habitants (basée à Nantes)
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* MUGUET Laurent, habitat groupé Le Fil, Le Bono (Morbihan).
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* RICHARD-DELVIL Clothilde : ex-habitante de l'habitat groupé La Bosse, Saint Nazaire, et architecte
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* DOMINICI Michele : titulaire de la chaire Fondation Rennes 1 - Habitat Intelligent et Innovation
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* RACINEUX Nathalie : Chargée d'études - Département Villes et Territoires/Groupe Aménagement Planification, CEREMA
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* MAITRE Juliette : Chargée d'études aménagement durable et accessibilité, CEREMA.
  
 
'''Participants:'''
 
'''Participants:'''
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* JAN Pierre-Yves Jan : Associations Éco-Habitat Groupé et Parasol, et habitat groupé La Petite Maison (Rennes)
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* QUEDET Jocelyne: Econids (projet d'habitat groupé, Nantes)                  
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* MILLET Marc : Econids (projet d'habitat groupé, Nantes)
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* CARDUNER Daniel: Anat eo (projet d'habitat groupé, Concarneau)
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* ANDRE Stéphanie : Service Habitat de Rennes Métropole
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* FALIU Christian: Architecte, Agence Cosmos 2001.
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* LOISEAU Maryvonne : Les Toits Partagés (projet d'habitat participatif, Lorient)                             
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* JOUANNO Claude : Les Toits Partagés (projet d'habitat participatif, Lorient)
  
 
'''Organisateurs :'''
 
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Pour autant, cela pose plusieurs questions, à commencer par celles des financements de ces biens. En effet, le financement de ces espaces pose la question de leur propriété et de leur usage, dans une proportion à définir entre du privé (exclusif) et du public (ouvert à tous). De plus, l’expérience montre que les économies réalisées à regrouper des espaces et des biens est très loin de compenser la plus grande grande quantité d’espaces communs qui caractérise les habitats participatifs : ces espaces en plus, par rapport aux logements classiques, sont autant de coûts supplémentaires à financer. Dans quelle mesure les habitants peuvent supporter des coûts au-delà de leur strict espace de logement ? Dans quelle mesure peuvent-ils solliciter des tiers pour co-financer ces espaces ? Dans quelle mesure, particulièrement, des bailleurs sociaux peuvent s'engager pour des habitats avec de telles proportions d'espaces communs ? Comment l'objectif de convivialité et de gestion commune pourrait ne pas se traduire par des coûts supplémentaires ? Comment se définissent les règles de financements et de gestion des biens communs entre les habitants ? Comment répartit-on notamment les limites entre ce qui est de l'ordre du commun et ce qui est de l'ordre du privatif, ou du public ? Comment ces règles peuvent évoluer dans le temps ?
 
Pour autant, cela pose plusieurs questions, à commencer par celles des financements de ces biens. En effet, le financement de ces espaces pose la question de leur propriété et de leur usage, dans une proportion à définir entre du privé (exclusif) et du public (ouvert à tous). De plus, l’expérience montre que les économies réalisées à regrouper des espaces et des biens est très loin de compenser la plus grande grande quantité d’espaces communs qui caractérise les habitats participatifs : ces espaces en plus, par rapport aux logements classiques, sont autant de coûts supplémentaires à financer. Dans quelle mesure les habitants peuvent supporter des coûts au-delà de leur strict espace de logement ? Dans quelle mesure peuvent-ils solliciter des tiers pour co-financer ces espaces ? Dans quelle mesure, particulièrement, des bailleurs sociaux peuvent s'engager pour des habitats avec de telles proportions d'espaces communs ? Comment l'objectif de convivialité et de gestion commune pourrait ne pas se traduire par des coûts supplémentaires ? Comment se définissent les règles de financements et de gestion des biens communs entre les habitants ? Comment répartit-on notamment les limites entre ce qui est de l'ordre du commun et ce qui est de l'ordre du privatif, ou du public ? Comment ces règles peuvent évoluer dans le temps ?
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=== Présentation bibliographique par Pierre Servain (E²=HP²) ===
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'''Définitions du « commun » pour les habitats participatifs'''
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La notion de « commun » dans l'habitat participatif recoupe deux champs de littérature qu'il est intéressant de croiser. D'un côté, on parle des « parties communes » dans les habitats, et particulièrement dans les copropriétés et les logements collectifs, et d'un autre, de la notion de gestion des « biens communs ». Ce n'est pas tant l'objet qui change que le regard porté : d'un côté, l'idée de « parties communes » se rattache souvent à des espaces qui posent problème et sont facilement dégradés dans l'habitat, alors que la notion de « bien commun » dans sa version moderne est très valorisée, comme un quasi-synonyme de l'idée de coopération et du faire ensemble.
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Dans l'habitat participatif, l'espace commun est un élément central, essentiel. L'une des caractéristiques principales de ce type d'habitat est en effet de mettre en œuvre une forte proportion d'espace commun, et de tout ce que cela suppose comme mise en commun entre co-habitants : mise en commun des équipements, de la gestion, des responsabilités, des engagements, de l'expérience, de l'identité.
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Il existe plusieurs typologies pour savoir de quoi il est question :
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Philippe Bonnin, du MHGA, distingue deux types d'espaces « communs » dans les habitats groupés :
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* '''les espaces communs « utilitaires »''', nécessaire (buanderies, parkings, couloirs, paliers...), c'est-à-dire les espaces dont nul logement collectif ne peut se passer. Il s'agit d’espaces partagés de fait, de façon non volontaire.
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* '''les espaces communs « de rencontre »''' (salle des fêtes, salle pour les enfants, atelier, salle ouverte au quartier...), qui n'aurait pas existé sans le projet de groupement d'habitat. C'est alors le produit de la volonté délibérée de créer du commun. La présence importante de ce type d'espace est une spécificité des habitats participatifs.
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Eleonora Banovitch propose une autre typologie, selon le mode de gestion et de relation que cela crée. Elle insiste sur le fait qu'il n'est pas tant question du statut juridique des espaces que des constructions sociales qui sont créées par les modes d'appropriations des espaces par les habitants.
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* '''espace public''' : espace pour tout le monde et personne, anonyme, où les règles de rapports sociaux sont ceux de la distance, de la civilité. Les gens sont en co-présence dans l'espace, mais restent étrangers les uns des autres. Personne n'est responsable de cet espace, si ce n'est l’État, et tout un chacun dans une morale de citoyenneté.
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* '''espace partagé (de fait)''' : Ce partage n’est pas le produit de la volonté des habitants, il est même souvent subi. C'est le cas le plus courant dans les copropriétés. Le cadre des personnes concernées se limite aux voisins, on parle des « inconnus familiers ». Mais ces cohabitants ne forment pas un groupe, qui se réunit, prend des décisions en tant que groupe. C'est le cadre des problèmes : il y a un usage en commun de l'espace, mais personne ne se sent responsable, sauf le syndic de copro (ou équivalent), et tout un chacun dans une morale de bon voisinage.
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* '''espace collectif (mutuel)''' : les cohabitants se regroupent volontairement, pour gérer ensemble un bien mis en commun. Cela permet a priori une meilleure organisation, une coopération. Il s'agit alors d'une logique de mutualisation, et de co-participation à un ensemble
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* '''espace commun''', enfin, à proprement parler : il s'agit non seulement d'une gestion commune des biens dans le présent, mais aussi des projets, du devenir commun. C'est à ce niveau qu'il y a le plus d'appropriation collective, et de création de collectif, de création de « nous », d'accueil collectif de l'extérieur, et de rêve, de fantasme, de charge symbolique.
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Une autre distinction importante quand on parle du « commun », en lien avec la notion d'ouverture, consiste à se demander qui est relié par ce « commun ». Une première acceptation consiste à dire que le commun relie un groupe, en l’occurrence un groupe de co-habitants. Cette mise en commun ne suppose pas nécessairement une ouverture sur l'extérieur, il crée même par définition un entre-soi. Une seconde acceptation du « commun » y joint au contraire, par définition, la notion d'ouverture au-delà du groupe. Sans doute y a-t-il d'ailleurs deux formes d'ouverture des habitants aux non-habitants : une qui passe par un espace physique, pour accueillir chez soi, et une qui passe par la participation à quelque chose d’extérieur à l'habitat en lui-même (ZAC, comités de quartier...).
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Toutes ces questions tournent autour de la délimitation de qui fabrique du commun dans les espaces communs, et pour quel projet. Le mode de financements de ces espaces est lié à ces questions.
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'''Financements des espaces communs dans les habitats participatifs'''
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L'espace mis en commun a un coût, comme tout espace. Dans les habitats participatifs, le regroupement des habitants sert parfois à économiser de l'argent en réduisant de l'espace, mais les réalisations montrent qu'il sert le plus souvent à créer de l'espace commun supplémentaire. Les espaces communs apparaissent donc comme des coûts, voire des surcoûts à financer, en plus des logements de chaque habitant. D'où la remarque de Samuel Lanoë, de l'Epok, dans les ateliers précédents de E²=HP², qui pose la question de savoir s'il faut nécessairement du bâti pour créer du commun, et s'il faut nécessairement qu'il soit implanté sur place.
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Il apparaît que plusieurs modes de financements sont utilisés pour les espaces communs dans les habitats participatifs :
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* à part égale par logement (ex : Cie Rit)
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* au prorata de l'usage (ex : projet des Graines urbaines) – cela suppose une évaluation collective de l'usage de chacun
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* au prorata des mètres carrés (ex : Ékoumène) - c'est visiblement le cas le plus courant
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* au prorata des revenus (ex : La Salière, en ce qui concerne les charges) – cela suppose une évaluation collective des revenus de chacun.
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Ces financements peuvent se faire :
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* De façon intégrée aux financements du reste de l’opération,
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* Ou plus couramment, de façon distincte, sur une ligne budgétaire à part, comme variable d’ajustements du budget global et c’est alors le premier poste qui risque d’être remis en cause en cas de manque de financements (ex : les témoignages exprimés lors de la table-ronde d’HPFC –page 10-(2013)).
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Notons, enfin, la réticence de la part des bailleurs sociaux d'intégrer beaucoup d'espaces communs dans les logements. Ils sont en effet considérés comme des surcoûts, et des espaces pour lesquels la gestion pose problème. À titre d'illustration, les Locaux Collectifs Résidentiels (LCR) ne dépassent jamais plus de 150 m² pour 100 logements. Nous sommes très loin des 10 à 15 % de la surface d'habitation annoncée dans les habitats groupés selon le livre du MHGA de 1983, et des proportions visiblement équivalentes dans les projets d'aujourd'hui.
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=== Témoignages de membres d'habitats groupés ===
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==== Laurent Muguet : habitat groupé Le Fil, Le Bono (Morbihan) ====
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[https://drive.google.com/file/d/0B-bLlUUE2Hl7TXB2eUNtbzVEOXc/view?usp=sharing Pour voir le support de présentation – cliquez ici.]
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« ''Le Fil est un habitat de 4 foyers, de tailles différentes, qui regroupe entre 12 et 15 personnes dans un espace collectif. Le projet a été lancé il y a 4 ans et est finalisé depuis juillet pour une partie, depuis septembre pour la deuxième partie. Concernant les espaces communs, il y a les espaces techniques : une chaufferie, la buanderie, les escaliers, un atelier dans lequel on a regroupé nos divers outils, un garage. Ce sont des espaces obligés, opérationnels. Et puis il y a des espaces que nous avons voulus, qui sont plus dans le fait de construire un vivre-ensemble, de se rencontrer. Ils sont situés au cœur, c'est un choix. On appelle la salle centrale l'atrium. Il fait dans les 40m². Et il y a une chambre d'amis, qui doit faire 27 ou 28m². C'est un petit studio qui peut accueillir une famille de quatre à cinq personnes. Le ratio d'espaces communs « de rencontre » est proche de 20 %. Nous en sommes très contents, ça nous semble bien dimensionné par rapport au projet.''' »
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Plusieurs personnes remarquent que ce ratio est très important. Cela est dû à la petite taille de l'habitat selon Olivier Cencetti, pour qui « plus les projets sont petits, plus la proportion des espaces communs sont grands », et selon Olaf Malgras pour qui maintenir une telle proportion « n'est pas nécessaire pour la vie commune » dans un habitat plus grand.
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« '''Le financement des communs a été un sujet qui nous a beaucoup questionné, nous avons beaucoup échangé là-dessus. Quand on est sur des contraintes budgétaires, la première chose qui a tendance à sauter, ce sont les espaces communs. À un moment donné, ça a failli être le cas pour nous. Non pas sur la buanderie ou le garage, mais sur cette salle commune. Nous avons eu peur, parce que c'est une prise de risque de ne pas être en capacité d'aller jusqu'au bout du projet. Ça a été tellement vrai qu'une famille nous a abandonnée, parce qu'elle avait vraiment une crainte de ne pas pouvoir arriver au bout du financement, et cette salle commune apparaissait comme un surcoût supplémentaire. On a réussi quand même à tenir parce que, pour une partie des co-habitants, s'il n'y avait pas d'espace commun, il n'y avait pas de projet. On a tenu ferme, pour certains. Avec la difficulté, c'est qu'on reste dans quelque chose de très virtuel. Une buanderie ou un abri vélo, on voit très bien à quoi ça va servir. Mais qu'est-ce qu'on peut faire dans une salle commune ? C'est un peu plus confus. Donc il a fallu poser les choses. Mais c'est resté malgré tout dans une forme de virtualité. Nous l'avons financé en fonction des tantièmes. Avec quand même une prise en compte des revenus de chacun, je pense notamment à la chambre d'amis : quand on a eu dans le groupe un foyer qui arrivait en butée en termes de financement, le financement de cette chambre d'amis a été pris en charge par deux familles exclusivement, ce qui n'empêche pas que ceux qui ne l'ont pas financé en ont la jouissance. C'est dans cette optique-là qu'on a pu le faire. Je pense que c'est plus facile parce qu'on est un petit groupe, de 4 foyers : ça permet peut-être plus de souplesse, d'échanges''.
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''On est à 6, 7 mois d'utilisation de ces espaces communs. On a bien fait d'insister et d'aller jusqu'au bout, parce que cet atrium vit vraiment. C'est un lieu de réunions pour nous quand il y a besoin de réguler sur l'organisation interne, et c'est aussi un endroit qui permet de recevoir de la famille, ça a été utilisé à fond pour les fêtes de fin d'année. C'est un endroit où on a une obligation de passage puisque ça dessert 3 appartements sur 4, donc c'est un lieu de rencontres obligatoires, et comme c'est un lieu qui est plutôt sympa, on peut s'y poser. C'était le cas dimanche, on y était toujours à 21h30, autour d'une bière ou d'un thé. C'est vraiment un lieu qui vit. C'est un lieu ouvert, mais avec une forme de maîtrise pour l'instant : on chope des opportunités, il y avait un festival de musique irlandaise sur le Bono pendant 4 jours, ils cherchaient des endroits pour faire des sessions chez l'habitant, c'était l'occasion de le faire. C'est aussi de l'ouvrir auprès du voisinage, qui est un nouveau quartier en train de se créer, une ZAC. Il y a tout intérêt à pouvoir profiter de ces occasions-là pour inviter les gens, et puis pour pouvoir leur faire découvrir l'endroit, et le principe, de façon très simple et très concrète, parce que ce genre de projet est souvent sujet à beaucoup de fantasmes. Voilà comment ça se vit. Ça se vit tranquillement. Les choses se font de façon pragmatique. On n'a pas forcément plein de plannings partout. Sur l'occupation de la chambre d'amis, nous avons prévu un protocole, un principe avec des priorités sur l'année, mais pour l'instant il n'est pas mis en œuvre parce que tout simplement, de façon très tranquille, nous sommes en capacité de se dire en se croisant « est-ce que c'est libre, est-ce que tu vas l'utiliser ou pas ». Pareil pour l'atrium, quand il y a de la famille ou des amis, on se pose aussi cette question-là, et pour l'instant ça se passe comme ça''. »
  
  

Version du 14 mai 2015 à 10:56